Les mots du Sénégal : trois conseils de lecture
Par Flavie Thouvenin
Héritière d’une longue tradition populaire de transmission orale, la littérature sénégalaise est aujourd’hui l’une des plus vivaces sur la scène littéraire africaine et francophone, peinant toutefois à se faire connaître au sein de ses propres terres. Au confluent de plusieurs influences africaines, arabes et européennes, reflets de l’histoire du pays, elle bénéficie d’une production riche, en diverses langues locales – wolof, peul, diola, sérène… entre autres – ainsi qu’en arabe et, surtout, en français, qui y demeure la langue de l’écrit par excellence. Au panthéon des auteurs sénégalais, Léopold Sédar Senghor, bien sûr, qui lui donna ses lettres de noblesse et continue encore, plus de vingt ans après sa mort, de faire rayonner le Sénégal à travers le monde. Dans l’ombre du maître, Cheick Hamidou Kane, Birago Diop, Lamine Diakhate, Aminata Sow Fall, Ken Bugul, Boubacar Boris Diop, tous récompensés du prestigieux Grand prix littéraire d’Afrique noire, ainsi qu’une nouvelle génération prometteuse, à l’image de Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021 (dont il est par ailleurs l’un des plus jeunes lauréats, à tout juste 31 ans !).
En prévision d’un prochain voyage, pour les amoureux de littérature ou tout simplement pour les curieux, nous vous proposons trois conseils de lecture au pays de la Téranga.
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Œuvre poétique, Léopold Sédar Senghor, Points, 2020
Difficile de ne pas citer en tout premier lieu les œuvres complètes de Sédar Senghor ! Car on ne saurait choisir… poète, écrivain, intellectuel et homme d’État, premier président de la République du Sénégal, fervent défenseur de la francophonie et de la négritude chère à Césaire, il laisse derrière lui une œuvre monumentale qui continue d’inspirer des générations d’écrivains. Des incontournables recueils Hosties noires et Éthiopiques, en passant par ses Élégies, la poésie de Senghor, d’inspiration symboliste, se lit et s’écoute comme autant de chants incantatoires où le rythme et les mots rappellent la musique. Faisant la belle part à l’universel, au-delà des différences, tout en valorisant et unissant les traditions, elle est un hymne à l’Afrique et à l’Humain, prônant le métissage culturel. Une œuvre que l’on prend le temps de savourer et à laquelle on revient, encore et encore, comme pour mieux mesurer le génie de ce monument de la littérature sénégalaise, mais aussi francophone.
Le Ventre de l’Atlantique, Fatou Diome, éditions Anne Carrère, 2003
Sur les rives de l’île de Niodor, dans la région du Siné-Saloum, Madické, jeune sénégalais, a des rêves d’ailleurs. Amateur de football, il admire ses compatriotes exilés, évoluant dans les plus grands clubs d’Europe. Et si c’était lui ? Quand pourra-t-il partir, lui aussi ? De l’autre côté de l’Atlantique, sa demi-sœur, Salie, installée à Strasbourg, a le mal du pays, qu’elle a pourtant choisi de fuir. Dans un récit oscillant entre la France et le Sénégal, Le Ventre de l’Atlantique, d’inspiration autobiographique, raconte les espoirs d’immigration d’une jeunesse africaine qui étouffe sous le poids du quotidien et des traditions, dans un pays qui n’a que peu d’avenir à lui offrir. Des rêves de vie meilleure, où l’on imagine l’Europe en Eldorado : un ailleurs mirifique qui se révèle bien souvent une chimère… Fatou Diome ne cache rien de l’espérance qui vient s’écraser sur les durs rochers de la réalité pour ces jeunes immigrés qui imaginaient l’Hexagone autrement.
Entre la clandestinité, les menaces d’expulsion, le racisme, la solitude, c’est la face cachée du rêve qui se révèle peu à peu… mais aussi cette difficile position, pour ceux qui sont partis, quand ils reviennent au pays : entre attentes démesurées de la famille et pression de la réussite. Faut-il maintenir le mythe de ce paradis rêvé ? Tranches de vie dans un récit sans concessions mais raconté sans pathos, dans un style élégant et poétique, ce premier roman de l’auteure franco-sénégalaise offre un voyage entre deux rives, regards croisés sur l’immigration africaine en Europe, aujourd’hui encore terriblement d’actualité.
Une si longue lettre, Mariama Bâ, Nouvelles éditions africaines, 1979
Roman épistolaire et premier ouvrage de Mariama Bâ, Une si longue lettre est souvent qualifié d’œuvre clé dans la littérature sénégalaise. Véritable coup de tonnerre lors de sa publication en 1979, il retrace le parcours de deux femmes dans une société qui ne leur fait pas de quartier. Le personnage principal, Ramatoulaye Fall, qui vient de perdre son mari et doit suivre quarante jours de réclusion imposés par la tradition musulmane, entreprend d’écrire à son amie d’enfance, Aïssatou, immigrée aux États-Unis. Si cette dernière a fui le pays pour échapper à la rudesse des coutumes locales, la première a choisi de rester et tenter de s’en accommoder : mère de famille nombreuse, mariée à un homme qui a pris une deuxième femme, Ramatoulaye raconte son quotidien et ses frustrations, entre la pression du clan familial, le mariage de raison et non de cœur, la réalité crue de la polygamie, l’analphabétisation des jeunes filles… Une plongée dans l’intimité de la narratrice, portrait méticuleux de la condition féminine dans un Sénégal alors encore en pleine transformation suite à l’indépendance, qui sonne comme un cri du cœur pour l’émancipation des femmes.
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